L'agglomération grenobloise est probablement la plus exposée de France aux phénomènes d'éboulements. Elle l'est de par sa situation géographique, enserrée entre les massifs calcaires du Vercors et de la Chartreuse. Elle l'est aussi en raison de son important développement urbain au cours des 50 dernières années : d'environ 260 000 habitants en 1962, nous sommes passés à plus de 500 000 aujourd'hui. L'urbanisation s'est donc souvent rapprochée des falaises qui dominent la ville, augmentant ainsi le risque.
Le sujet de ce film est la montagne du Saint-Eynard située au nord-est de Grenoble. Observée, scrutée, instrumentée, scannée et photographiée pendant des années par les chercheurs de l'Institut des Sciences de la Terre, l'activité érosive de cette falaise est aujourd'hui mieux connue et surtout plus intense que ce que l'on soupçonnait au départ. Ces recherches nous donnent d'ailleurs aujourd'hui des chiffres qui nous permettent d'interpeller les futurs spectateurs : 900 éboulements en 2 ans et demi d'investigation, soit environ un par jour !
Pourtant ces chiffres ne peuvent se suffire à eux mêmes et cachent d'autres réalités : la quasi totalité des éboulements enregistrés proviennent de la falaise inférieure du Saint-Eynard, beaucoup plus "active" que la falaise supérieure, constituée de calcaires plus épais et compacts. La plupart de ces éboulements sont de très faible volume, ils viennent alimenter les éboulis de pied de falaise mais ne représentent pas de risque pour les habitations situées en contrebas.
Cette activité érosive intense pose malgré tout la question de la connaissance que nous avons de l'aléa (quelle fréquence de retour pour un éboulement de 10 m³, 100 m³, 1000 m³...?) et des mesures de prévention associées. Elle pose aussi la question, à plus long terme, du risque d'éboulements de volumes plus importants, comme cela s'est produit récemment au mont Granier (100 000 m³ puis 50 000 m³) au nord du massif de la Chartreuse, ou à Saint-Paul-de-Varces en 2007 (60 000 m³) sur les contreforts est du massif du Vercors. Les experts estiment que ces éboulements importants seraient précédés de signes précurseurs, notamment des éboulements de faible volume. En l'absence d'un suivi scientifique et/ou opérationnel de toutes les falaises qui entourent l'agglomération, l'attention de chacun est donc nécessaire pour prévenir les autorités compétentes en cas d'activité d'éboulement inhabituelle : Préfecture de l'Isère et/ou service de Restauration des Terrains en Montagne. Il faut envisager cela comme une manière de renouer le contact avec la nature qui nous entoure, d'être à son écoute, et pas simplement de la consommer pour nos envies et nos loisirs.
Le mont Saint-Eynard présente une falaise calcaire de plusieurs kilomètres en bordure du massif de la Chartreuse et qui domine la vallée de l'Isère en amont de Grenoble. Elle est constituée de deux barres de morphologies différentes, l’une en calcaire lité (falaise inférieure du Séquanien), l’autre en calcaire massif (falaise supérieure du Tithonique).
L'Institut des Sciences de la Terre a établi, entre 2012 et 2015, une base de données d'éboulements rocheux survenus dans la falaise du Saint-Eynard entre les communes de Corenc et Biviers (pour des volumes supérieurs à 0,1 m³) en utilisant des données de scanner laser et de photographie. Les nuages de points issus du scanner laser permettent de reconstituer la falaise et les compartiments éboulés en 3D. Les données de surface des falaises, ainsi que des informations sur la localisation, les dimensions, le mécanisme de rupture propre à chaque compartiment ont été analysés pour caractériser l'évolution morphologique des deux falaises.
Il apparait que la falaise inférieure, dont la morphologie dépend fortement de la fracturation et de l'érosion torrentielle des marnes sous-jacentes, présente une fréquence d’éboulement 22 fois plus importante que la falaise supérieure, de morphologie et pente régulière. De plus, dans la falaise inférieure, le taux d'érosion est 4 fois plus élevé entre 900 et 1000 m d’altitude, qu’entre 1000 et 1100 m.
Les éboulements rocheux détectés ont également été datés par un suivi photographique pendant 2,5 ans. Un suivi quasi-continu (1 photo toutes les 10 min), avec un objectif grand angle a permis de dater 214 éboulements de plus de 0,1 m³. Un suivi mensuel, avec un téléobjectif, a permis de dater 854 éboulements de plus de 0,01 m³.
L’analyse de ces deux bases de données montre que la fréquence d'éboulements rocheux peut être 7 fois plus grande lors d’un épisode de gel-dégel que sans événement météorologique particulier, et 4,5 fois plus grande lors d’un épisode de pluie. De plus, elle devient 26 fois plus grande si l’intensité depuis le début de l’épisode est supérieure à 5 mm/h.
Source : "Apport d’une base de données d’éboulements rocheux obtenue par scanner laser dans la caractérisation des conditions de rupture et processus associés", Julie d'Amato, 2015, thèse de l'Université Grenoble Alpes, encadrée par Didier Hantz.
La falaise du Saint-Eynard est aussi suivie dans le cadre de la mise en place d'un observatoire de la dynamique d’érosion des falaises et des chutes de bloc. Pour en savoir plus : https://isterre.fr/recherche/projets-de-recherche/projets-en-cours/labex-equipex/article/labex-osug-2020-morphologie-des